rapport de la chambre de commerce de Paris
sur la grÈve de mai 1909
Le service postal a été organisé temporairement, aux mois de mars et mai 1909, par la Chambre de Commerce de Paris et les Chambres de Commerce des départements pendant la grève des agents de l'Administration. Dans son ensemble, cette organisation a fonctionné d'une manière satisfaisante ; toutefois, en raison de son caractère improvisé et de l'extrême rapidité avec laquelle les opérations devaient être conduites, il n'a pas été possible d'éviter un certain nombre de fautes et d'erreurs. Tout en espérant qu'un nouvel arrêt du service des postes ne se produira pas, il est prudent d'en prévoir l'éventualité et de déterminer la conduite à suivre, le cas échéant, en profitant des leçons de l'expérience. La présente note a pour but d'exposer le fonctionnement du service temporaire pendant la grève de 1909, d'en signaler les défauts et de rechercher les améliorations à y apporter. Il ne sera parlé ici que des grandes lignes de l'organisation postale.
Tout d'abord il faut remarquer que si, en 1909, le service a surtout fonctionné entre la Chambre de Commerce de Paris et les Chambres de Commerce des départements, il devrait être complété à l'avenir par des correspondances directes entre certaines Chambres des départements sans passer par Paris. La disposition de nos lignes de chemins de fer fait de Paris le point d'échange le plus facile entre la plupart des Chambres de Commerce; cependant, un certain nombre d'entre elles gagneraient beaucoup de temps en se reliant par des lignes spéciales; tout au moins dans la région située au-dessous de la ligne Lyon-Bordeaux, devrait-on établir des communications directes entre Lyon, Marseille, Toulouse et Bordeaux. Il y aurait lieu de dresser, d'accord avec l'Administration des Postes, un tableau qui déterminerait les Chambres de Commerce appelées à correspondre entre elles sans passer par Paris, et les lignes à utiliser pour ces correspondances.
Sous cette réserve, nous nous bornerons à étudier le service tel qu'il a fonctionné en 1909 entre la Chambre de Commerce de Paris et les Chambres de Commerce des départements, les principes de l'organisation à prévoir étant les mêmes pour les autres lignes.
Avant toute installation, le Président de la Chambre de Commerce de Paris, se faisant, vu l'urgence, l'interprète de toutes les Chambres de Commerce, dut s'entendre avec le représentant du Gouvernement et l'Administration des Postes, avec les Compagnies de chemins de fer, avec les Chambres de Commerce des départements et avec les groupes syndicaux de Paris.
Le Gouvernement s'engagea, non sans hésitation, à rembourser toutes les dépenses qui seraient faites par les Chambres de Commerce; cette stipulation était pleinement justifiée, puisque l'Administration continuerait à percevoir les taxes d'affranchissement sans assurer le service.
L'Administration des Postes autorisa les Chambres de Commerce à se charger du transport des correspondances dont le monopole lui est réservé par la loi et mit à leur disposition quelques uns de ses agents. A Paris, un employé supérieur se tint en rapport avec le Président de la Chambre de Commerce pour l'aider à organiser le service et pour résoudre les difficultés susceptibles de se produire ; deux autres employés vinrent chaque jour, de quatre heures à six heures, pour diriger et activer le service du départ; enfin, plusieurs facteurs furent mis également, de quatre heures à six heures, à la disposition de la Chambre de Commerce pour participer au. timbrage des correspondances. D'autre part, l'Administration avait fourni tout le matériel technique.
Les Compagnies de chemins de fer s'engagèrent à recevoir les sacs de dépêches échangés entre les Chambres de Commerce et à les faire distribuer par leurs ambulants; à défaut, d'ambulants, elles promirent de mettre des compartiments à la disposition des agents des Chambres de Commerce avec parcours gratuit.
Les Chambres de Commerce des départements, informées télégraphiquement par la Chambre de Commerce de Paris de l'organisation du service, lui donnèrent leur entière adhésion et lui firent connaître le mode d'expédition qu'elles se proposaient d'employer.
Les Groupes syndicaux de Paris installèrent à leur siège un bureau de réception pour les lettres de leurs adhérents à expédier dans les départements et les apportèrent à la Chambre de. Commerce avant l'heure, du départ; ils reçurent à l'arrivée les lettres envoyées pour eux à la Chambre de Commerce et en firent la distribution.
Ce furent aussi les Groupes syndicaux qui, en même temps que les membres de la Chambre de Commerce et plusieurs grandes maisons, fournirent un personnel d'employés aptes à faire fonctionner le service postal. Malgré l'inexpérience de ces employés, il est juste de reconnaître que la plupart d'entre eux firent preuve de beaucoup de bonne volonté et quelques uns de capacités remarquables.
Tous ces préparatifs terminés, l'organisation postale fut constituée à l'hôtel de la Chambre de Commerce et répartie en trois services, à savoir :
- Service du départ;
- Service de la réception et de l'expédition des sacs de dépêches;
- Service de la distribution.
I. Service du départ.
Les lettres étaient apportées, affranchies, à la Chambre de Commerce et reçues jusqu'à cinq heures du soir; elles passaient, en premier lieu, au timbrage pour annulation des timbres d'affranchissement, puis étaient triées par lignes de chemins de fer et, dans chaque ligne, par Chambre de Commerce. A chaque Chambre de Commerce correspondait un sac spécial qui lui était adressé, soit par les ambulants, soit par convoyeurs suivant l'ordre de la Chambre de Commerce destinataire. Dans le premier cas, les sacs
étaient portés directement aux gares; dans le deuxième cas, ils étaient remis au deuxième service. Les opérations successives du premier service devaient s'exécuter avec une extréme rapidité, les lettres étant presque toutes apportées dans la dernière demi-heure; aussi, le personnel était-il doublé à partir de quatre heures.
II. — Service de la réception et de l'expédition des sacs de dépêches.
Ce service n'avait à s'occuper que des sacs destinés à des Chambres de Commerce qui envoyaient des convoyeurs. De jour et de nuit des employés attendaient les convoyeurs mandatés par les Chambres de Commerce des départements, recevaient les sacs apportés par eux et leur remettaient les sacs destinés aux Chambres de Commerce qui les avaient envoyés.
III. Service de la distribution.
Les sacs arrivés pendant la nuit étaient l'objet d'un triage par circonscription postale et les paquets triés étaient portés, pour les arrondissements du centre, au bureau central, pour la périphérie, aux bureaux d'arrondissement. L'Administration avait déclaré que la plupart des facteurs n'étant pas en grève, la distribution serait effectuée normalement tant par les sous-agents restés à leur poste que par des soldats. Malheureusement les prévisions de l'Administration ne se réalisèrent pas. On s'aperçut, au bout de quelques jours, que les lettres s'entassaient dans les bureaux et qu'une partie d'entre elles seulement étaient distribuées. Un essai de distribution par la Chambre de Commerce fut tenté dans les derniers jours de la grève; les lettres préalablement triées furent remises à quelques maisons de commerce qui les firent distribuer par leur personnel dans les rues voisines. La fin de la grève ne laissa pas le temps d'appliquer ce système, mais on put se convaincre qu'il pourrait être mis en pratique, à la condition d'appliquer le principe d'unes grande division du travail.
D'autre part, pendant toute la durée de la grève, les syndicats participant au service postal faisaient prendre chaque matin le courrier de leurs membres à la Chambre de Commerce et le faisaient parvenir aux destinataires.
Le service organisé par la Chambre de Commerce de Paris ne comprenait que les lettres ordinaires, à l'exclusion des imprimés et des lettres chargées ou recommandées.
En ce qui concerne les imprimés, qui ne présentent pas un caractère d'urgence, il était tout indiqué d'en suspendre le transport afin de décharger le service.
Quant aux valeurs, la Chambre de Commerce ne pouvait pas en prendre la responsabilité, en raison de l'inexpérience de son personnel et du caractère improvisé de son service. Il pouvait d'ailleurs être pourvu aux versements urgents par des ordres transmis par les banques de Paris à leurs correspondants des départements ou réciproquement. En outre, plusieurs grandes banques envoyaient fréquemment des employés dans les principales directions.
Les lettres pour l'étranger étaient acceptées; mais, après le timbrage et le triage, elles étaient remises à l'Administration qui se déclarait en mesure de les expédier.
Après cet exposé des opérations accomplies, il importe de signaler quels ont été les points défectueux du service et pour quelles causes se sont produits des retards ou des erreurs d'expédition.
Au départ, la réception des lettres déposées par les expéditeurs, l'apposition du timbre de la poste, le triage des correspondances, le classement et la mise en sacs ont fonctionné régulièrement, mais l'installation était insuffisante pour le grand nombre des dépêches à expédier; l'espace, le matériel, le personnel auraient dû être au moins le double de ce qu'ils étaient; heureusement le bureau de poste voisin, ayant conservé une partie de son personnel, s'est obligeamment chargé d'expédier le surplus des correspondances.
Une première cause de retard venait de ce qu'un assez grand nombre d'enveloppes ne portaient pas l'indication de la Chambre de Commerce destinaire; bien qu'une dizaine d'employés fussent occupés à compléter les adresses, les lettres de cette catégorie ne partaient souvent que le lendemain.
D'autres erreurs vinrent de ce que, dans la précipitation du travail, quelques paquets de dépêches étaient jetés dans des sacs autres. que celui de leur destination et prenaient ainsi une fausse direction.
Enfin, pour certaines Chambres de Commerce dont la circonscription est desservie par plusieurs lignes de chemins de fer différentes, l'envoi de toutes les dépêches au siège de la Chambre de Commerce retardait les correspondances des localités desservies par
un autre réseau. L'exemple le plus frappant de cet inconvénient est celui de la Chambre de Commerce de l'Aisne; toutes les correspondances étaient dirigées sur Saint-Quentin, elles parvenaient
directement dans les arrondissements de Saint-Quentin, Vervins et
même Laon, un peu plus tardivement dans l'arrondissement de Soissons, et avec un très grand retard dans l'arrondissement de
Château-Thierry. Il eût été désirable, dans des cas semblables, notamment dans les circonscriptions les plus voisines de la Chambre de Commerce expéditrice, de scinder la circonscription destinataire en plusieurs sections.
L'expédition des sacs de dépêches a donné lieu à d'incessantes difficultés et à un certain nombre d'erreurs. Une partie des
Chambres de Commerce des départements faisaient remettre leurs sacs aux ambulants, tandis que d'autres les envoyaient chercher par des convoyeurs ou des agences; parfois même plusieurs agences se présentaient pour la même Chambre de Commerce.
Au cours de la durée du service, plusieurs Chambres de Commerce modifièrent leurs ordres et l'avis en parvint parfois après l'expédition des dépêches. Cette extrême diversité et cette variabilité dans le mode d'expédition rendit le travail très difficile; il eût beaucoup mieux fonctionné si un service uniforme de convoyeurs avait pu être organisé.
La distribution des lettres dans Paris a causé, comme nous l'avons dit, de graves mécomptes. Beaucoup de lettres sont restées
bloquées pendant plusieurs jours, alors que nous avions reçu l'assurance qu'elles étaient régulièrement distribuées. Ce service, en semblable occurrence, devrait être organisé sur des bases toutes différentes.
Après avoir exposé les défectuosités du service, nous pouvons ajouter que les erreurs et les retards ont constitué une exception.
En regard de la quantité relativement restreinte de lettres arrivées en retard, il faut considérer la quantité infiniment plus grande de correspondances parvenues à destination dans les délais normaux.
Nous avons à signaler, il est vrai, une recrudescence des réclamations pendant les derniers jours de la grève : à ce moment, l'Administration, tout en nous invitant à continuer notre service, avait repris partiellement le sien dans des conditions de célérité et d'exactitude que nous ne pouvions pas égaler. Les expéditeurs ou destinataires des lettres établirent alors une comparaison qui ne fut évidemment pas en notre faveur.
Quoi qu'il en soit, nous n'hésitons pas à conclure que l'organisation de ce service temporaire a été très utile, et que si, ce que nous espérons ne pas voir se produire, une nouvelle grève éclatait, il y aurait lieu d'installer de nouveau un service postal entre les Chambres de Commerce avec les améliorations dictées par l'expérience.
Il est bien entendu que les Chambres de Commerce, avec un personnel inexpérimenté et des moyens de fortune, n'auront pas la prétention de faire parvenir les lettres aussi rapidement qu'en temps de service normal ; mais ce sera déjà un excellent résultat de recevoir des lettres en vingt-quatre heures ou même en quarante-huit, au lieu de rester huit ou quinze jours sans avoir de courrier. Le problème ne peut se résoudre que dans les termes suivants : les lettres expédiées le soir sur Paris y seront distribuées le lendemain; si leur destination est au-delà de Paris, elles seront réexpédiées ce 'même jour et parviendront le jour suivant à la Chambre de Commerce destinataire. D'autre part, les lettres expédiées de Paris sur les départements arriveront le lendemain aux Chambres de Commerce destinataires; si elles doivent être réexpédiées sur une autre localité de la circonscription, elles y parviendront le jour suivant.
Il semble que le mode d'échange le plus pratique entre les correspondances des Chambres de Commerce de Paris et des départements serait l'organisation, par la Chambre de Commerce de Paris, d'un service de convoyeurs pour toutes les grandes lignes de chemins de fer. Sur chaque ligne le convoyeur partirait, le soir, dé Paris avec les sacs de dépêches destinées aux Chambres de Commerce de sa ligne; celles-ci enverraient prendre, au passage des trains, leurs propres sacs et ceux qui seraient destinés aux Chambres de Commerce desservies par les embranchements latéraux. Au retour, le convoyeur recevrait de même, à chaque station, les correspondances de la Chambre de Commerce de la ville et de celles des embranchements et les apporterait à Paris. Un tableau serait dressé avec le concours de l'Administration pour indiquer les lignes principales à faire desservir par des convoyeurs et les horaires des trains. On éviterait ainsi de dépendre de la bonne volonté des ambulants et le service serait assuré d'une manière uniforme et régulière.
Une dernière question se pose qui a déjà été agitée clans la dernière grève. Que ferait-on si les agents des chemins de fer suspendaient leur service en même temps que ceux des postes ?
En prévision de cette éventualité, le gouvernement s'était assuré des automobiles en nombre suffisant pour organiser dans chaque département un service de transmission de dépêches. Les automobiles devaient aller jusqu'à la limite de leur département, où ils auraient rencontré les voitures du département voisin auxquelles ils auraient remis leur chargement. Cette organisation aurait sans doute fonctionné dans des conditions satisfaisantes; mais il est certain qu'en un cas semblable le nombre des correspondances commerciales deviendrait extrêmement restreint : elles ont, en effet, pour principal objet de demander des marchandises; or, l'arrêt des moyens de transport ne permettant plus d'expédier les colis, les demandes elles-mêmes seraient sans utilité. Néanmoins, un service de ce genre permettrait de ne pas rester sans nouvelles des correspondants habituels et d'expédier les lettres urgentes. Nous n'avons pas à nous occuper à l'avance de son organisation, qui incomberait au gouvernement.
18149. — Lib.-Imp. réunies, 7, rue Saint-Benoit, Paris.